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lundi 9 mars 2020

Art Nouveau à Perpignan, quartiers des boulevards Wilson et Clemenceau.

La semaine dernière, j'étais à Perpignan, pour vivre l'ambiance de cette ville catalane du Nord lors du grand rassemblement des catalans du Sud du 29 février. Enfant, c'était une ville où j'allais souvent avec ma mère, mais je n'en gardais aucun souvenir. J'ai été séduite par son caractère catalan, très présent dans l'architecture de la vieille ville et j'ai été surprise de découvrir autant d'exemples, très originaux, d'architecture Art Nouveau dont je présenterai quelques exemples dans cet article. Je dois grand nombre d'informations que je partagerai à ce livre d'Esteban Castañer Muñoz, professeur d’Histoire de l’Art Contemporain à l’Université de Perpignan Via Domitia, intitulé : Modernité et identité dans l'urbanisme et dans l'architecture à Perpignan (1848-1939), aux éditions Trabucaire, publié en 2014.

L'arrivée du chemin de fer à Perpignan, en 1858, marque un tournant dans la ville. Le déclassement de la ville en 1901, qui était jusqu'alors une place forte militaire, entraîne la destruction d'une partie des remparts en 1904 et impulse l'agrandissement du tissu urbain vers le nord autour de l'actuel boulevard Wilson et celui de Clemenceau.

C'est ainsi que l'Art Nouveau perpignanais est tardif, par rapport au reste de la France, puisque présent dans des constructions qui s'intègrent dans le tout nouveau tissu urbain. Elles datent principalement de la période juste avant guerre et pour peu d'entre elles, après-guerre, avec un mélange entre Art Nouveau et Art Déco.

Vous trouverez ci-dessous quelques exemples de l'architecture Art Nouveau de la ville, classés par architecte, lorsque j'ai pu en trouver l'attribution.

Eugène Montès : 

Elève de Petersen, qui tenait un des grands cabinets d'architectes de Perpignan, depuis 1880: "le cabinet de Dorph-Petersen, durant cette longue période, était devenu la véritable école du bâtiment catalan". Montès a obtenu sa patente d'architecte en 1910 et son style est éclectique avec un mélange d'apports du 19è siècle et d'Art Nouveau

Le cinéma Le Castillet






Situé à l'angle de la place de la Victoire et du boulevard Wilson, datant de 1911, c'est le premier cinéma de la ville et un des premiers de France. Oeuvre d'Eugène Montès, Ici, il s'est associé avec le sculpteur Auguste Guénot auteur des frises florales et décors animaliers.  Les façades  et toitures, y compris la marquise qui couvre l'entrée (Boulevard  Wilson), sont inscrites à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.






Patinoire:

Juste à côté du cinéma, se trouvait la patinoire, avec sculptures Art Nouveau.



Hôtel Sisquelle:

Situé au 14 du boulevard Wilson, datant de 1917, c'est probablement la construction de l'architecte qui, surtout au niveau des éléments décoratifs, bien plus qu'architecturalement, se rapproche de l'Art Nouveau. La structure de l'édifice tient de l'ordonnancement d'un immeuble bourgeois du début du siècle qui est le support d'un décor sur le thème du pin, fort commun parmi les décors végétaux de l'Art Nouveau. Il est sculpté sous la console du bow-window, autour du visage de femme qui orne le haut de la porte d'entrée et sur une frise polychrome qui court sur la partie supérieur de l'édifice.





Une curieuse couronne de lauriers  sculptée surplombe l'ensemble. 


Henry Sicart : 

Architecte atypique, au parcours plus empirique qu'académique, s'étant formé auprès d'architectes plutôt que dans des écoles des Beaux-Arts, ses constructions ont de nombreux éléments Art Nouveau, avec quelques touches médiévalisantes.

Hôtel Vilar:

Situé au 7 boulevard Wilson. il s'agit d'une commande pour Henri Vilar, réalisée en 1912.


Immeuble d'angle, construit en pierre et brique, recouvert d'ardoise, ce qui lui donne un petit air  élégant d'hôtel particulier bourgeois parisien, il est orné de nombreux éléments végétaux, représentant notamment des feuilles de chardon, style Art Nouveau.




L'architecte est un des rares à signer ses œuvres avec une calligraphie Art Nouveau sur certains de ses édifices.

Immeuble Carbonell

Il se trouve un peu plus loin, après la rue Bartissol, au n°9 du boulevard. Plus tardif, il date de 1920-26. D'allure néo-gothique, il mélange, comme dans la construction précédente, la pierre et la brique et intègre dans sa composite de nombreuses ouvertures en arc-brisé.


Il compte 4 travées, dont une occupée par un bow-window. L'ensemble est parcouru au sommet par un "trencadis" plutôt monochrome qui ressemble un peu aux célèbres mosaïques faites de céramiques "cassées" (trencat en catalan) du grand architecte catalan Antoni Gaudi.




Immeuble, 13 rue Jeanne d'Arc

Cette rue est parallèle au boulevard Wilson et, à la même hauteur que les constructions précédentes, il y a plusieurs édifices intéressants. L'un d'eux est cet immeuble, encore une fois, alliant pierre et brique, avec un porche d'entrée imposant et des balcons en fer forgé Art Déco. Plus aucun élément clairement Art Nouveau n'est visible alors que la construction date de 1914.



Immeuble 10 boulevard Clemenceau

L'architecte en est, comme l'atteste la signature, Henry Sicart. Pourtant, cet immeuble de rapport n'est mentionné sur aucun des nombreux documents que j'ai pu consulter.

Stylistiquement, il s'agit d'une construction de couleur monochrome, dont le pourtour des fenêtres est ornée de raisins et feuilles de vignes sculptés et où les balcons montrent des balustrades en grès céramiques qui font penser, en plus grossiers, aux mêmes éléments chez des céramistes comme Alexandre Bigot ou Gentil&Bourdet. Je reviendrai sur ce point un peu plus bas, lorsque je parlerai de l'oeuvre du cabinet Trénet.






Cabinet Trénet :

Ce cabinet fut le lieu de rencontre et d'échange de nombreux architectes de la ville, entre 1909 et 1920. Installé par Claudius Trénet, son fils louis y collabora très tôt et partagea certaines constructions avec son père.

Maison de l'Américaine, 13 boulevard Wilson:

Elle est l'oeuvre de Claudius, mais son fils y a participé. Datant de 1909, de conception éclectique, L'immeuble fit l'objet de trois projets successifs, le deuxième datant de 1908 - dont il nous reste une élévation colorée-, notamment avec la travée d'angle, comportant une ouverture tripartite en arc outrepassé, autour de laquelle s'articule toute la construction, est celui le plus proche de l'esprit Art Nouveau. 


Malheureusement, ce fut le troisième projet, plus sobre, datant de 1909, qui a été retenu. Dans celui-ci, il n'est plus question de polychromie et de mélange de matériau, l'ouverture d'angle en arc outre-passé est remplacée par une ouverture rectangulaire. Restent la porte et une fenêtre en arc-de-cercle qui gardent uns structure tripartite beaucoup plus sage.




 Un dessin montre que le vestibule d'entrée est ornée par un beau vitrail Art nouveau et reprend quelques éléments en fer forgé du même style, comme pour le porche d'entrée.


Tout le haut de l'immeuble est orné par des sculptures en grès flammé, qui ressemblent étrangement aux cartouches avec des roses, d'Alexandre Bigot, sauf qu'ici, il s'agit d'une autre fleur. Je me suis beaucoup interrogée sur ces ressemblances. J'ai peut-être trouvé une piste: le cabinet de Dorph-Petersen, auquel appartenait notamment Eugène Montès, a été l'agent régional du cabinet Hennebique pour les constructions en béton. L'ingénieur a travaillé avec Alexandre Bigot, notamment pour l'ornementation de son premier immeuble en béton armé. Il est donc possible d'un catalogue des céramiques de Bigot ait circulé dans les cercles d'architectes de Perpignan et qu'un céramiste local s'en soit inspiré.


Immeuble 11, rue Jeanne-d’Arc

Cette construction, qui date de 1924, a des petits airs de "maison américaine", mais avec des éléments plus proche de l'Art Déco et moins stylée. 




Louis Trénet:
Immeuble 9, cours Lazare-Escarguel (1926) e


Deux exemples architecturaux avec des éléments de décoration sous la corniche qui ne sont pas sans rappeler le Liberty italien ou certains sgraffites du Modernisme catalan du sud.







Édouard Mas-Chancel

 16, rue Jeanne-d’Arc : hôtel Foxonet

Cet architecte sera le représentant de architecture régionale. Ces constructions allient des matériaux locaux traditionnels comme les galets, la terre cuite,  et la tuile un style néo-roman et des éléments de l'architecture contemporaine, en l’occurrence Art Déco ou comme ici, dans le cas des ferronneries de la porte d'entrée, Art Nouveau tardif. L’édifice date de 1933.




Construction sans attribution d'architecte:

Au n° 6 du cours Lazare-Escarguel un petit immeuble présente des ferronneries d'inspiration Art Nouveau sur les balcons et rambardes de fenêtres.




Loin des boulevards, de l'autre côté de La Basse, sur l'Avenue du Palais des Expositions, un immeuble fort curieux, daté de 1931 avec des éléments Art Nouveau géométrique et Art Déco.